• L'amour encore et toujours

    L'amour avait si longtemps voyagé seul qu'il fut émerveillé par la coquetterie malicieuse dans l'œil de Chimène.

    Malgré une forte propension à avoir le sang chaud, il savait garder son sang froid lorsque son cœur d'artichaut lui envoyait un message de printemps ranimé par une hirondelle.

    Cette fois-ci, il fut hésitant en découvrant le compagnon de la gazouilleuse : un gigantesque ennui qui, pour survivre, s'amusait à tuer le temps.

    S'armant des yeux d'Argus, il prit le mâle en patience afin de surveiller son comportement.

    Cet ennui là affichait une morgue révélatrice d'envies cachées jusqu'à en faire pitié.

    Mais l'amour n'avait pas la pitié de ses envies pas plus qu'envie de sa pitié.

    Son amour propre prenant le dessus, il décida  de sortir de sa cage pour filer le parfait amour avec l'attirante Chimène.

    Il se souvenait de cette phrase glanée au hasard du temps : "On se demande parfois si la vie a un sens et puis on fait une rencontre qui donne un sens à sa vie".

    "Après tout, l'amour c'est pas sorcier", se dit-il magnanime.

    Il commença alors à se consumer jusqu'à en devenir aveugle et de ses yeux brulants coulèrent des sillons de lave, en tous cas décente pour son pauvre volcan.

    Se sentant en danger, l'ennui fit une contre attaque perfide : il introduisit l'habitude dans leur relation merveilleuse.

    Sans précipitation, il érigea un poteau de torture pour appuyer là où ça faisait du bien : les clichés rassurants de la routine.

    Le temps se figea alors, entravant sa belle marche en avant : Chimène avait beau lui faire ses yeux frappés de passion folle, l'amour aveugle entrouvrit les siens pour ne plus voir que cette lueur déclinante.

    Tel le cheval de course pas trop attelé, il se déroba aux appels de l'irraison froide pour laisser l'habitude gagner leur belle relation.

    Et ce qui devait malheureusement arriver, arriva : l'habitude détruisit l'amour. 

    Et l'amour s'éteignit.

    Il s'en fut conquérir d'autres terres brulées.

    Chimène ferma ses yeux sur les choses de l'amour.

    Définitivement.

    Mes frères et mes sœurs, si votre désir de faire une longue vie d'amour vous embaume le cœur, surtout n'hésitez pas à bannir les sœurs de la discorde : l'habitude et la routine.

    C'est une victime de l'amour vache qui vous le crie.


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  • L’évadé de Millefeuille

    Les yeux rivés sur son clavier, elle laissait courir ses mots au bout de ses doigts qui lui parlaient de moi.  J’étais son antre sacré, son temple qui la contemplait depuis le matin.  Elle me paraissait absente de moi. Pourtant, depuis le début, j’étais sa page blanche à chacune de ses fins. Son éternel recommencement. Non.  N’interprétez pas trop vite. Je ne suis pas son Sisyphe. Je n’ai pas la forme. Je vis par elle, mais elle ne le sait pas. Elle m’emporte, me rêve et m’écrit librement, ce que sa vie ne peut lui offrir. Pour l’instant et pour elle, je joue sa passion des mots qu’elle injecte à l’encre virtuelle sur des lignes en veine d’un filon amoureux, d’un désir de séduire. La traitresse ! Elle me trompe sans le savoir. C’est moi qu’elle aime. Je suis son acteur, elle est mon auteur. Nous sommes un couple. Vous ? Des voyeurs !

     

     

     

    Je parle avec elle, je dors avec elle, je rêve avec elle. Je connais tous ses secrets. Pas elle. Je me plie à ses quatre volontés, je la suis croit-elle. Rien n’est plus faux. Elle m’écrit donc je suis. Je me lie sur toutes les pages de son roman Millefeuille toujours en réécriture. À force de m’inventer, de son abstraction, je prends vie. J’en ai marre de jouer un Araos sur un piédestal. Je descends de mon socle, moi,  héros plus que parfait  pour masquer l’impossible idéal de l’art de m’écrire.  Je suis là, nu devant elle. J’attends son regard.

     

     

     

    En sourdine, Fantaisies et fugues pour clavier, musique de Bach flotte dans la pièce. Cela lui rappelle un vieil amant qui dessinait avec grand talent des espaces à remplir. Pour moi, aucune importance, il est déjà mort d’ennui. Moi, je suis toujours demeuré à ses côtés au milieu de son nulle part qui l’envahit depuis sa naissance. Elle vit parce que j’existe. J’attends son regard. Ce regard qui me traverse le cœur pour entendre chacun de ses battements avant que monte en moi ce désir de m’unir à elle et qu’enfin éclate ma vie en elle et par elle. Je lui parle, elle écoute Bach. Ses doigts pianotent sur le clavier pendant qu’Araos mon avatar fuit de dangereux criminels sans papiers sur ses pages dans son roman  Millefeuille.  Je ne crains rien. Je suis son héros, mais j’attends son regard et j’ai froid planté là, nu au milieu de son décor minimaliste. C’en est assez. Je marche vers l’armoire vitrée, je glisse ma main sur sa surface pour que s’ouvre sa porte coulissante,  j’empoigne la bouteille de Cognac Napoléon VSOP et me verse une généreuse quantité dans un verre approprié à ce précieux réchauffant. Avant de refermer, d’une main adroite, je laisse tomber au sol un verre de cristal qui se brise dans un tel fracas  que seul un mort ne peut entendre.

     

     

     

    Enfin, ce bruit la sort de sa bulle créatrice. Elle m’aperçoit. Les yeux écarquillés par la surprise de voir un homme nu dans sa chambre d’écriture en train de boire son Cognac.

     

     

     

    -       M’enfin ! Que faites-vous là ? Qui vous autorise à vous glisser ainsi dans mes appartements ? Vous auriez pu avoir au moins la décence de vous vêtir avant de vous présenter devant moi !

     

     

     

    -       Je suis en fuite Madame et qui plus est, par votre faute ! Vos gorilles me pourchassaient. Je me devais de leur survivre pour mieux vous servir.

     

              

     

    -       Mais enfin ! Qui êtes-vous ? Je ne vous connais point.

     

     

     

    -       Que si Madame ! Je suis de vous, Araos, votre héros bien-aimé dans votre roman de vie Millefeuille toujours en réécriture. Vous m’avez inventé une vie, donc me voici. À vous de savoir me faire un avenir maintenant.

     

     

     

    -       Quoi ? Mais vous êtes fou. Que vais-je faire de vous dans ma vie ?

     

     

     

    -       Votre amant Madame. Je suis votre amant.

     

     

     

    -       Tut..tut..tut… un instant jeune homme !  Vos airs d’Apollon drapé de votre nudité ne m’en imposent pas.

     

     

     

    -       Je n’ai rien d’Apollon. Je répète. Je suis votre Araos, un évadé de votre Millefeuille pour mieux vous servir.

     

     

    Elle me dévisageait telle une bête étrange en cherchant au fond de sa mémoire dans quel espace nous nous étions déjà croisés. Nous n ‘étions pas sortis du bois !


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  • Un gros égo

    Un gros égo se tracassait en pensant à sa mort future. Son souhait le plus cher était de se faire empailler et ensuite de se faire exposer dans le salon de sa jolie maison, située dans le chic quartier bo-bo (bohémien-bourgeois) du plateau Mont-Royal. Mais sa tête enflée ne passerait pas par une simple porte, réfléchit-il. Ou mieux encore, de sculpter son buste et de l’exposer aux Musées des Beaux-Arts des métropoles occidentales du monde entier ? Ne serait-ce pas mieux d’exposer son corps empaillé au centre du grand hall d’entrée de l’hôtel de ville de Montréal près du drapeau du Canada, qui lui a tant servi ? Étant donné sa notoriété, il est évident que le maire Coderre adoptera les mesures nécessaires pour qu’il ne soit jamais oublié. Certainement qu’il passera à la prospérité. Ce serait faire insulte au monde de la culture et des arts que de l’ignorer ici même dans sa ville, dans sa province, dans son pays, là où il a fait ses premiers pas. Le monde ne peut vivre sans lui. Il le sait. Ce serait normal de lui faire des funérailles nationales avant de le conduire à son dernier repos où son « lui-même » empaillé sera entouré d’un cadre doré.

     

    Il ne pouvait croire qu’un jour il ne serait plus. Comment feront ses grands amis pour vivre sans lui ? Il ne pouvait imaginer leur peine. Se mettre à leur place lui était trop pénible, il ne pouvait supporter l’absence, même en pensées, de son icône sur sa planète. Comment eux, pourront-ils continuer leur vie sans lui ? Sa vie devint un enfer.

     

    Il pleura toutes les larmes de son corps en se noyant dans l’alcool pour s’oublier, mais rien à faire, il n’y arrivait pas. Il pensait toujours à lui, juste à lui, comme s’il était le seul au monde qui pouvait lui procurer du bonheur. Un homme à sa hauteur ne se remplace pas, s’insistait-il pour se persuader d’avoir raison. Jamais il ne viendrait à bout de cette peine d’amour de lui-même. Pour tout réconfort, il n’avait que sa peau, ses os et son égo.

     

    Quinze ans plus tard, quand il s’aperçut que sa femme était encore là dans sa maison et qu’elle repassait ses draps, il décida de lui faire régler son problème. Il lui dicta ce que les autorités devaient faire de son corps si un jour il lui arrivait de trépasser. Sa femme lui demanda d’apposer sa signature sur le brouillon où elle avait écrit ses dernières volontés pour le remettre à son notaire. Il signa de son nom au bas de la page, et satisfait, il se regarda dans son miroir et se sourit davantage en voyant son plancher à ses pieds. Cela le décida à reprendre son ancienne vie d’ange avec les yeux de ses démons intérieurs.  Il n’y pensa plus, mais il aurait dû … Car le lendemain, il mourut d’une crise de culte de soi sévère qui le condamna à l’anonymat éternel.

     

    Le notaire lut le contenu du brouillon écrit en propre par sa femme. Elle avait changé les volontés du défunt en faisant quelques petits changements, mais il avait signé sans même regarder les mots qu’elle avait écrits pour lui  … 

     

    En premier, faire empailler sa tête enflée et le placer dans un cadre doré sans que son nom ne soit mentionné nulle part. En second, gérer sa fortune pour aider les nouveaux indigents qui survivront au régime d’austérité du premier ministre Couillard. 

     

     

                            Di


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    La diagonale du nombril


    Jane…
    Elle avait déboulé dans ma vie de célibataire convaincu,  un soir de dinette chez des amis communs qui avaient un petit trois pièces dans le centre de Montpellier.
    Kevin, l'homme de la maison et ami de vingt ans, m'avait fait miroiter une soirée sympa "entre gens de bonne compagnie", m'avait-il affirmé.
    - Et puis, tu ne vas pas rester seul toute ta vie, non ?
    - Qui te dis que la solitude cool ça n'existe pas ?
    - Arrête de nous la jouer Bécaud et rapplique les mains dans les poches, tout est prévu
    Heureusement le savoir vivre, jadis inculqué par mes parents, me fit passer chez Rose, la fleuriste du cours Gambetta et lorsque je sonnais chez Kévin, caché derrière un immense bouquet, la surprise fut pour moi : au lieu de Maria, femme de Kévin, ce fut Jane qui m'ouvrit, en me spécifiant :
    - Je m'appelle Jane et je suis chargée de la porte car Louisa est très occupée
    Un accent indéfinissable lui faisait prononcer les "é" en "ey"
    - Bonsoir, je m'appelle Alain et je suis chargé de ce bouquet que j'ai plaisir à vous offrir…
    - Sont-ce les fleurs du mâle ?
    Elle ignorait que j'avais, en général, un faible sidéral pour les gens qui avaient de l'humour et en particulier pour les femmes qui pratiquaient le deuxième degré en finesse des jeux de mots.
    Pendant le repas, fort agréable, je lui avais renvoyé l'ascenseur lorsqu'elle avait précisé qu'elle exerçait son métier de postière au bureau de Rondelet.
    - Si je viens à votre guichet, serai-je l'être recommandé ?
    Elle avait découvert ses dents blanches impeccables pour me gratifier d'un rire cristallin qui avait accéléré mon palpitant pour une chamade merveilleuse.
    Ce rire faisait maintenant partie de ma vie depuis deux ans car j'avais emménagé vers son appartement du boulevard de Strasbourg.
    Deux ans qui me laissaient sourd à Bécaud et à sa solitude.
    En plus de sa beauté intérieure bâtie de sincérité et de générosité, sa beauté physique était un cri sans fin : "Aime moi et le ciel t'aimera"
    Mais je m'en moquais du ciel, surtout quand ses yeux gris profond m'invitaient à plonger dans ses pensées complices.
    Jane chevauchait l'espièglerie, papillonnait sans cesse et rayonnait sans partage dans ma vie d'ex célibataire conquis et attentif à son bonheur.
    Son accent inimitable défendait ses origines écossaises ; il me laissait grave à ses piaillements aigus et ses fausses intonations méridionales mettaient en circonflexe mes sourcils interrogateurs.
    Il existait bien des moments de replis sur soi pour chacun de nous deux : ses fins de mois l'amenaient à occulter ses faims de moi.
    Quand, bouillonnant d'une standing ovulation, son ventre la martyrisait, sa seule règle était d'attendre patiemment la fin du spectacle de la création. Hormis ces petites trêves mensuelles, nous pratiquions une sexualité décalée en complicité, à coup de "je t'aime, moi non plus".
    Une vraie lune de miel qui n'en finissait pas jusqu'à ce matin gris de décembre où, bêtement, j'attrapais son portable qui buzzait alors qu'elle se pomponnait dans la salle de bain. "Appel de Arnaud" affichait plein d'arrogance l'appareil buzzant….
    Cela me fit un choc car je ne connaissais aucun Arnaud de ses amis ni de sa famille; de plus, une petite voix insidieuse résonna dans ma tête :
    - Si le numéro est reconnu, c'est qu'il est important…
    - Peuhhh ! Et ta sœur !
    L'auto réponse que je me fis ne me calma qu'à moitié, puis pas du tout, puis m'inquiéta un maximum.
    Jane devait connaître cet Arnaud assez intimement pour lui avoir donné son numéro de portable : est-ce que vous donnez votre numéro à quelqu'un qui risque de vous embêter, vous ?
    Un ancien petit copain ? Pire : un petit copain récent qui doit rester dans l'ombre d'une rencontre à renouveler…
    Les jours suivants me firent suspicieux sans le dire franchement à Jane qui multipliait les élans d'amour, la rendant ainsi encore plus suspecte.
    Les femmes m'avaient trop souvent servi cette fausse attitude enjouée qui précède l'aveu impardonnable pour que je n'en sois pas déjà convaincu.
    Ses façons de se comporter puaient le mensonge et la dissimulation.
    Bon, Ok, Jane me trompait, ça c'était acquis dans ma logique; à chaque fois qu'elle répondait gênée à son foutu portable je sentais bien qu'elle était en train de passer à autre chose et ça, je le lisais sur son visage de plus en plus ennuyé lorsque nous devisions de choses et d'autres.
    Puis, vint le soir où, n'en pouvant plus d'amour défait, je la sommais de me dire la vérité sur cet Arnaud maudit.
    Sa réaction me surprit d'autant plus qu'elle n'allait pas dans le sens de la femme qui veut s'évader d'une relation : elle se mit à pleurer en me répétant une litanie désespérée:
    - Tu ne peux pas comprendre…
    - Ah bon ? je suis trop con ?
    - C'est pas ça… mais tu ne peux pas comprendre.
    - Bon… ben puisque je ne peux pas comprendre, je vais te laisser avec ton Arnaud : je m'en vais de ta vie !
    - Mais quel Arnaud ?
    - C'est ça ! fous-toi de moi ! Adieu !
    Je la quittais en pleurs, fier de ma décision d'homme " à qui on ne la fait pas" puis j'allais déménager mes quelques fringues de son appartement : non mais ho ! Je n'étais pas un profiteur, moi !
    S'en suivi une période triste où mon amour bafoué ne trouvait pas son compte dans ma décision car je devais bien l'admettre : j'en crevais de la savoir ailleurs que dans mes bras.
    Depuis deux mois j'essayais tant bien que mal de me rabibocher avec moi-même quand Kevin m'appela au bureau :
    - Salut beau gosse, tu vas ?
    - Ben ouais… j'essaye…
    - Es-tu libre après le boulot ?
    - Heu… oui pourquoi ?
    - Je passe te prendre à dix huit heures !
    - Mais…
    - Ne discute pas, dix huit heures à ton bureau !
    Une fois installé dans sa 308, je posais la question qui me brulait depuis son coup de fils :
    - Où allons-nous, grand chef ?
    - Nous allons voir Jane qui aimerait te voir une dernière fois
    - Quoi ? Comment ? Tu aurais pu me demander mon avis avant de décider, non ?
    - Oui j'aurais pu
    - Pourquoi as-tu accepté cette entrevue à ma place ?
    Je posais cette question abrupte car mon amour propre devait y trouver sa sortie honorable. Il ne me répondit pas tout de suite mais attendit l'arrêt à un feu rouge puis se tourna vers moi et, ses yeux dans les miens, d'une voix grave il prononça ces paroles terribles :
    - Nous allons voir Jane qui est en phase terminale d'un cancer foudroyant
    - Hein ?… Que… quoi ? quel cancer ?
    - Un cancer du pancréas
    - Cancer…pancréas…
    Ces mots résonnaient dans ma tête comme si elle s'était transformée en grosse caisse.
    - Où est-elle ?
    - A l'hôpital Arnaud de Villeneuve…
    Alors, mon orgueil idiot me fit bégayer bêtement : "Arnaud ? Arnaud ! Ah…Arnaud…"


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    Un procès libidineux !

     

    Sur la place principale d’un village situé près de la mer des Amériques, Monsieur Lamer, le maire, inaugure un débat oratoire devant un attroupement de personnes intéressées par le thème du « coït ». Le Maire n’est pas à l’aise, cela se voit jusqu’ici qu’il est blanc comme une oie et qu’il tremble en dépliant le texte de son discours.

    Pour dissimuler le trouble écrit dans ses yeux qui parlent plus fort que mille mots, il pose ses lunettes fumées sur son nez et attache les branches à ses oreilles. Il sourit au public de l’air de celui qui en a vu d’autres, mais sa pudeur le fait claquer des dents. Il voudrait disparaitre, être un autre, transformer son visage, tellement grand est son mal-être face à ce dossier de zones érogènes. Embarrassé par sa gêne, il hausse les épaules et tourne son regard vers le vide, en repensant aux conseils que lui donnait son père à propos du rôle qu’il joue à la mairie : « Quand un homme est maire, il doit savoir tout faire, comme une vraie mère ».

    Alors avec courage, il met en garde les gens rassemblés que la discussion à suivre comprendra des mots osés pouvant offenser de prudes oreilles et qu’ils peuvent passer outre leur chemin si cela ne leur convient pas. Il se tait ne pouvant poursuivre son discours et laisse la parole aux deux avocats qui sont face à face et qui n’attendent qu’un signal pour s’exprimer.

    Il s’agit de Maître de l’Orgasme qui représente Madame X, la plaignante, et de Me du Coït qui représente Monsieur Z, l’accusé. Madame accuse Monsieur de briser son plaisir au lit lors de leurs ébats sexuels, en pratiquant le coït interrompu. 

    Me de l’Orgasme s’adresse d’abord à son adversaire, Me du Coït.

    ·       Mon cher confrère du Coït : considérant que ma plaignante Madame X souffre d’anorgasmie et compte tenu que c’est un sujet douloureux pour elle, alors je vous prie de ne pas plaindre votre plaignant en plaidant et de ne pas plaisanter sur la teneur de ses plaintes. Ce serait indécent !

     

    ·       N’en doutez point, Me de l’Orgasme. Cela n’aurait aucun sens et deviendrait un procès où l’humour ferait sa loi. Et maintenant que nous avons discuté des préliminaires, nous nous devons de commencer à débattre de cette cause si nous voulons terminer avant que la noirceur descende du ciel.

     

    ·       C’est juste ! Me du Coït. Ne nous laissons pas interrompre si nous voulons aller au fond des choses. Eh bien voilà : Prenez connaissance que ma cliente ici présente, accuse votre client Monsieur Z, d’interrompre leurs relations sexuelles en se propulsant hors d’elle sans crier gare, avant qu’elle n’atteigne l’orgasme que Monsieur se procure manuellement, en la laissant dans une situation lamentable.

     

    ·       Rien n’interdit à Madame de se prévaloir de ses droits majeurs en s’aidant de ses doigts.

     

    ·       Mettez-vous à sa place, cher Maître. Lorsqu’ils font l’amour, Monsieur parcourt son corps en lui laissant des centaines de frissons qui lui procurent des plaisirs incomparables, qui ne sont en rien redoutables. Pendant ce temps, Monsieur lui promet monts et merveilles et il l’appelle « ma reine ». C’est un crime de lèse-majesté que de la laisser insatisfaite en fuyant au mauvais moment. Comprenez-la, Me du Coït, au moment où elle atteint le point culminant du plaisir et qu’elle est sur le point de venir, comme elle en a le droit, Monsieur se projette brusquement hors de son intimité, pour jouir en lui faisant le coup du « bye-bye-bite », sans même l’aviser de son départ précipité. Il interrompt ainsi la jouissance de Madame. Elle espère tomber dans l’extase, mais rendue au point d’orgue, elle dégringole par en arrière. Avouez que c’est frustrant !

     

    ·       N’exagérons point, Maître de l’Orgasme. Après tout, la jouissance n’est qu’un plaisir éphémère. Pour tout vous dire, ma chère consœur, mon client se plaint que les lamentations de Madame l’excitent, mais quand elle commence à gémir de toutes ses entrailles, il se hâte de sortir son « monsieur » de son intimité, uniquement pour lui éviter des souffrances ultérieures, en accouchant d’un enfant dans les mois suivants. Oui Maître de l’Orgasme ! Ce départ hâtif n’est qu’une précaution charitable à prendre pour le bien de Madame qui ne désire pas devenir mère maintenant.

     

    ·       J’accuse Monsieur Z de voler la « petite mort » de Madame. La petite mort, savez-vous Me Coït, que la petite mort, c’est la plus belle de toutes les morts ? Autrement dit, cette « mort » qu’on dit « petite » est un synonyme de l’orgasme. Elle est d’un bien-être total. Cela tue Madame d’y échapper. Monsieur X est passible de payer une amende honorable ne donnant pas de crédit d’impôt ou de rester le prisonnier de Madame pour la vie.

     

    ·       N’en rajoutez plus, cher Maitre de l’Orgasme, Monsieur avoue qu’il doit sortir précipitamment de son ventre.

     

    ·       Vous admettez donc ainsi que Monsieur prive Madame de sa jouissance légitime ?

     

    ·       Hélas oui ! Maître. Mais il le fait pour des raisons anticonceptionnelles. N’oubliez pas que lorsqu’il sent venir Madame en criant et qu’il se retire promptement, Monsieur lui évite l’avènement d’un heureux évènement dans les mois suivants. Madame se plaint pour bien peu, mon cher collègue.

     

    ·       Savez-vous que cette façon de faire arrache des larmes à la majorité des dames victimes d’anorgasmie ? Alors qu’elles arrivent tout près de l’orgasme, elles se font fermer la porte au nez. N’est-ce pas infâme que de priver ces dames de la « petite mort » espérée, en les laissant sur leur faim ?

     

    ·       Peut-être bien, mais ce n’est pas un drame. Toutefois, laissez-moi vous faire remarquer que Madame se prive elle-même d’une « petite mort » en déclinant l’offre de Monsieur d’utiliser un condom.

     

    ·       Madame prend la pilule contraceptive pour éviter les grossesses. Elle n’a pas besoin de condom d’aucune saveur et ni d’interruption de l’acte.

     

    ·       Ce que vous ignorez Me de l’Orgasme, c’est que Madame ne prend la pilule qu’un jour sur trois, si ce n’est pas quatre fois l’an, car elle est étourdie et les oublie dans la pharmacie. Heureusement que Monsieur maitrise à la perfection la technique du coït interrompu, pour éviter qu’un spermatozoïde astucieux n’entende l’appel d’un ovule et ne trouve un moyen de se faufiler dans la voie de Madame pour le pénétrer. C’est en sortant son « monsieur » de Madame qu’il sécurise la porte d’entrée du col de l’utérus.

     

    ·       Il y a pire, Me du Coït ! Non seulement le « monsieur » de Monsieur part en fuyant, mais les fesses de Madame confessent qu’elles manquent de caresses et sont en détresse, ses seins se stressent et sa peau se vexe. Avec la méthode anticonceptionnelle du coït interrompu, Monsieur votre client ne prend pas le temps de donner au corps de Madame le plaisir qui lui revient. 

     

    ·       Je m’objecte à ces mots, Me de l’Orgasme. Monsieur s’applique à sa besogne et je refuse de croire qu’il fonctionne à haute vitesse. Apportez-moi des preuves tangibles.

     

    ·       Madame ne se plaint pas pour rien. Monsieur est trop pressé d’en finir.

     

    ·       Allons donc ! La poitrine de Madame peut-elle donner des preuves de sa détresse ? 

     

    ·       Quand les seins de Madame ne sont pas stimulés, ils ne peuvent simuler de plaisir pour le prouver.

     

    ·       Cependant, sa poitrine prouve que les seins sont érectiles à une stimulation adroite. Prenons une pause. Je vais  parler à mon client assis sur ce banc.

     

    Les regards se tournent vers le banc des accusés où Monsieur Z et Madame X sont assis côte à côte. Ce qui surprend les gens, c’est qu’ils se tiennent par la main, alors qu’ils sont en procès l’un contre l’autre. Me du Coït se retire par discrétion et retourne vers Me de l’Orgasme, qui est debout non loin du maire, lequel ne sait plus comment réagir à cause de ses malaises.

    Monsieur dit quelque chose à l’oreille de Madame. Celle-ci parait surprise. Elle lui donne un baiser sur la bouche, il lui en donne un autre. Déjà ils sont à demi-nus couchés sur l’herbe de la terrasse, inconscients des personnes qui les observent. Ils se croient seuls au monde. Leurs langues se rencontrent et se parlent en amoureuses. La vue, l’ouïe, le goût, le toucher, l’odorat et le sens olfactif, tous les sens y sont exacerbés. Tous les sens participent à cet amour qui se fait, en va et vient dans le gîte de Madame. Ils se mangent des yeux et la passion les dévore.

    Tout devient sensuel et poétique. Ils sont parlants de vérité … Ils s’aiment ! Les oiseaux ne chantent plus, ils ne veulent pas les interrompre. Ils vont et ils viennent, ils vont et ils reviennent, ils s’embrassent et s’embrasent sous les feux de l’amour. Des « hum »  ajoutent des « mmm » à leurs plaisirs et des « ah » ajoutent des « hhhh » à leurs sensations.

    ·       Me du Coït, dit Me de l’Orgasme. Écoutez bien ma cliente. Ses lamentations ne sont pourtant pas feintes ! Ne l’entendez-vous pas s’extasier ?

     

    Maître de l’Orgasme prend à témoin Monsieur Lamer le maire, en ajoutant …

     

    ·       Ne trouvez-vous pas Monsieur le maire ? Que Madame X est excitée et court après son plaisir pour tomber dans une « petite mort » exquise ?

     

    Le maire embarrassé se racle la gorge et répond à voix faible « Heu … oui-oui ». Il porte un jean’ serré et se demande comment faire pour cacher son organe qu’il sent coincé entre deux gosses dans un endroit fait pour se reposer. Malgré les rougeurs qu’il sent monter au visage, il ramasse son chapeau tombé par terre, en essayant de penser que s’il veut rester maire aux prochaines élections, il doit contenter le plus de monde possible. « Pour rester maire, il faut plaire à ses pairs », lui rappelle régulièrement son père. Puis, il regarde les plaignants et écoute leurs gémissements. Il jette un coup d’œil sur les gens qui les regardent faire l’amour et trouve le courage d’ouvrir son esprit à la liberté d’expression. Les amoureux s’aiment. Il ne veut pas les interrompre car il sent qu’il perdrait des votes. Alors, le maire prend une grande respiration et dit aux gens d’un ton qui se veut convaincant :

     

    ·       N’interrompez pas le coït !

     

    ·       Chutttt !  murmurent des gens dans l’assistance.

     

    ·       Oh que c’est bon, que c’est bon ! J’veux pas que ça cesse ! J’veux pas qu’tu partes ! (disent Monsieur et Madame, ou les deux.) 

     

    L’amour se fait tant de bien, qu’il escorte Madame et Monsieur au bord de la jouissance où ils plongent ensemble en parfaite osmose, en criant de plaisir … envoyant un signal de bien-être extrême … et profond.

     

    Le maire Lamer remet son chapeau sur la tête, remercie les plaignants, les avocats et tout le monde. Les gens se dispersent. Me Coït dit à Me Orgasme :

     

    ·       Et si on allait manger quelque chose, vous et moi, au restaurant ?  Je connais un restaurant non loin d’ici qu’on s’appelle « La faim sans fin ».

     

    EPILOGUE

     

    Neuf mois plus tard, à l’hôpital du village, nait Charlie, fils de Me du Coït et de Me de l’Orgasme. Le même jour, deux heures plus tard, Madame X, assistée de Monsieur Z, met au monde une petite fille, qu’ils appellent Charlotte, premier bébé d’une lignée de onze enfants à suivre. Monsieur Lamer est réélu maire et va très bien depuis qu’il a épousé Mademoiselle Y, qui deviendra bientôt mère, afin que son mari soit père.

     

     

          Di


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