• L’évadé de Millefeuille par Marie Louve

    L’évadé de Millefeuille

    Les yeux rivés sur son clavier, elle laissait courir ses mots au bout de ses doigts qui lui parlaient de moi.  J’étais son antre sacré, son temple qui la contemplait depuis le matin.  Elle me paraissait absente de moi. Pourtant, depuis le début, j’étais sa page blanche à chacune de ses fins. Son éternel recommencement. Non.  N’interprétez pas trop vite. Je ne suis pas son Sisyphe. Je n’ai pas la forme. Je vis par elle, mais elle ne le sait pas. Elle m’emporte, me rêve et m’écrit librement, ce que sa vie ne peut lui offrir. Pour l’instant et pour elle, je joue sa passion des mots qu’elle injecte à l’encre virtuelle sur des lignes en veine d’un filon amoureux, d’un désir de séduire. La traitresse ! Elle me trompe sans le savoir. C’est moi qu’elle aime. Je suis son acteur, elle est mon auteur. Nous sommes un couple. Vous ? Des voyeurs !

     

     

     

    Je parle avec elle, je dors avec elle, je rêve avec elle. Je connais tous ses secrets. Pas elle. Je me plie à ses quatre volontés, je la suis croit-elle. Rien n’est plus faux. Elle m’écrit donc je suis. Je me lie sur toutes les pages de son roman Millefeuille toujours en réécriture. À force de m’inventer, de son abstraction, je prends vie. J’en ai marre de jouer un Araos sur un piédestal. Je descends de mon socle, moi,  héros plus que parfait  pour masquer l’impossible idéal de l’art de m’écrire.  Je suis là, nu devant elle. J’attends son regard.

     

     

     

    En sourdine, Fantaisies et fugues pour clavier, musique de Bach flotte dans la pièce. Cela lui rappelle un vieil amant qui dessinait avec grand talent des espaces à remplir. Pour moi, aucune importance, il est déjà mort d’ennui. Moi, je suis toujours demeuré à ses côtés au milieu de son nulle part qui l’envahit depuis sa naissance. Elle vit parce que j’existe. J’attends son regard. Ce regard qui me traverse le cœur pour entendre chacun de ses battements avant que monte en moi ce désir de m’unir à elle et qu’enfin éclate ma vie en elle et par elle. Je lui parle, elle écoute Bach. Ses doigts pianotent sur le clavier pendant qu’Araos mon avatar fuit de dangereux criminels sans papiers sur ses pages dans son roman  Millefeuille.  Je ne crains rien. Je suis son héros, mais j’attends son regard et j’ai froid planté là, nu au milieu de son décor minimaliste. C’en est assez. Je marche vers l’armoire vitrée, je glisse ma main sur sa surface pour que s’ouvre sa porte coulissante,  j’empoigne la bouteille de Cognac Napoléon VSOP et me verse une généreuse quantité dans un verre approprié à ce précieux réchauffant. Avant de refermer, d’une main adroite, je laisse tomber au sol un verre de cristal qui se brise dans un tel fracas  que seul un mort ne peut entendre.

     

     

     

    Enfin, ce bruit la sort de sa bulle créatrice. Elle m’aperçoit. Les yeux écarquillés par la surprise de voir un homme nu dans sa chambre d’écriture en train de boire son Cognac.

     

     

     

    -       M’enfin ! Que faites-vous là ? Qui vous autorise à vous glisser ainsi dans mes appartements ? Vous auriez pu avoir au moins la décence de vous vêtir avant de vous présenter devant moi !

     

     

     

    -       Je suis en fuite Madame et qui plus est, par votre faute ! Vos gorilles me pourchassaient. Je me devais de leur survivre pour mieux vous servir.

     

              

     

    -       Mais enfin ! Qui êtes-vous ? Je ne vous connais point.

     

     

     

    -       Que si Madame ! Je suis de vous, Araos, votre héros bien-aimé dans votre roman de vie Millefeuille toujours en réécriture. Vous m’avez inventé une vie, donc me voici. À vous de savoir me faire un avenir maintenant.

     

     

     

    -       Quoi ? Mais vous êtes fou. Que vais-je faire de vous dans ma vie ?

     

     

     

    -       Votre amant Madame. Je suis votre amant.

     

     

     

    -       Tut..tut..tut… un instant jeune homme !  Vos airs d’Apollon drapé de votre nudité ne m’en imposent pas.

     

     

     

    -       Je n’ai rien d’Apollon. Je répète. Je suis votre Araos, un évadé de votre Millefeuille pour mieux vous servir.

     

     

    Elle me dévisageait telle une bête étrange en cherchant au fond de sa mémoire dans quel espace nous nous étions déjà croisés. Nous n ‘étions pas sortis du bois !


  • Commentaires

    1
    Samedi 24 Janvier 2015 à 17:55

    Deux lectures valent mieux qu'une....

    Les lignes bougent et rendent la vérité encore plus nue...

    Belle écriture madame Louve happy

    2
    Di
    Samedi 24 Janvier 2015 à 18:47

    Araon a son égo à placer quelque part, tout de même. Il est né un jour, sans force, sans esprit, sans âge et sans visage. Il était nu comme un nouveau-né dont on ne connait pas encore le sexe. Elle, son auteur l’a pris en main et le transforme en mille et un personnages. Elle le fait poète sans le vouloir, romancier malgré lui, de sa vie elle l’envoie au purgatoire et lui fait mener des combats de paix et de guerre, des histoires fantasmagoriques. Lui, Araon, pendant ce temps, prend du caractère, fait la guerre dans des vies et des vies, prend de l’expérience et Aime Elle (ML). Le temps est venu de se présenter devant elle, tel qu’il est. Araon est devenu un Dieu, mais il n’existe que pour elle. Il veut être son amant, rien de moins. Courageux personnage. Ses doigts de créatrice l’ont mis au monde, il faut maintenant l’écouter. Mais c’est vrai. Ils ne sont pas sortis s'ils sont au bois de caribou, car il bout pour les amis ». J'aime bien le commentaire de Aganticus. Bravo Marie-Love.

    3
    Dimanche 25 Janvier 2015 à 18:24

    Hé oui, c'est le grand risque du romancier, ou de la romancière, Marie Louve ! Qu'un jour un de ses personnages franchissent la frontière ! Un grand bravo, bizzz !

    4
    Dimanche 25 Janvier 2015 à 18:38

    franchisse, pardon.

    5
    Dimanche 25 Janvier 2015 à 19:20

    Merci aux trois grands, es, fantasmagoriques. Grâce à Breton, à une pensée de Kant, un peu beaucoup à Nietzsche , par eux , Araos ici personnage théâtral née du beau de la Grèce mythologique, sans le savoir, j'ai suivi la vérité en fugue sur mille et une erreurs de jeu d'ombre et de lumière braqué sur la conscience et l'inconscience humaine. Bah.. rien n'est jamais fini ni déterminé. Bises à vous trois.  

    6
    Dimanche 25 Janvier 2015 à 19:56

    Bonjour Marie-Louve... ah ne plus enfanter que par l'écriture.... un rêve et cet Araos semble fort bel "homme"... en tous cas il trouble ainsi nu, qu'en faire oh mais si tu ne sais d'autres sauront... ;-) Amicalement, jill

    7
    Lundi 26 Janvier 2015 à 00:06

    Mais je n'avais pas imaginé que ce bel Araos pouvait faire envie :-))). Ainsi posé sur un écran virtuel, il risque de croupir dans les méandres informatiques. Bonne semaine, amicalement. yes

    8
    Lundi 26 Janvier 2015 à 11:04
    Josette

    Ah ces personnages quand ils s'imposent à ce point comment leur résister...Drapé dans sa nudité même s'il n'est pas Apollon je me laisserais bien tenter Marie Louve sarcastic

    en voilà encore un qui fait rêver !

    bisous

     

    9
    Lundi 26 Janvier 2015 à 17:00

    wink2 Hi,hi... Josette, elle ne le sait pas encore, mais la chute la laisse dans le bois avec cette bête étrange. Merci de ta lecture interactive. Bises amicales.

    10
    Victoria
    Mercredi 28 Janvier 2015 à 18:11

    Si j'étais sûre que  créer un personnage lui donne vie, j'en inventerai un parfait. yes

    Très beau texte, Marie-Louve.

     

    11
    Jeudi 29 Janvier 2015 à 02:42

    Pourquoi pas Victoria ? On ne perd rien à essayer une petite folie. wink2 Bonne nuit et merci d,avoir commenté. 

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