Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publicité

La mort fait une dépression par Di

La mort fait une dépression

 

Cette histoire débuta dans un des plus beaux cimetières du monde le 15 avril de l’année de grâce 2150 et se termina 300 ans plus tard. Adénaïde a tout vu et le raconte dans son cahier sans fin.

Vêtue de son grand manteau noir avec son capuchon servant à dissimuler son visage cadavérique, la Mort s’apprêtait à faucher la vie d’un père de six enfants, aimant encore sa femme après vingt ans. Tout à coup, la Mort vit la petite fille de l’homme à côté de lui. Elle lui disait « Papa, tu es certain que maman va guérir et qu’elle n’ira pas au ciel tout de suite ? » Se sentant lâche de laisser cette petite fille et ses frères et sœurs orphelins de leurs deux parents, la Mort laissa tomber sa faux et raya la maman de sa liste pour les laisser vivre heureux encore longtemps. Elle tomba à genoux et dans un grand soupir elle fit trembler la terre entière. Elle s’affala et se mit à voir sa vie en noir.

 

Il était presque midi, le bedeau s’apprêtait à sonner les cloches pour annoncer l’angélus, quand tout à coup il entendit des cris de mort. Dans cet appel désespéré le bedeau vit une urgence, mais étant dans le clocher il ne pouvait sauver ce pauvre homme, alors il texta au fossoyeur de creuser un trou pour l’y recevoir. 

C’est que la Mort repensait à ce qu’elle avait fait de sa vie : liquider, tuer, trucider, supprimer, occire, assassiner, ce n’était que du pareil au même. Elle se sentit inutile, sans saveur et sans couleur. À quoi bon travailler ? Pas d’amis, pas de larmes, sans rire et sans sourire, c’était le lot de sa vie. Elle sentit la culpabilité l’assaillir. Son moral descendit à un rythme fou et elle n’eut plus qu’une idée: se donner la mort. « Je veux mourir, je veux mourir » Elle tomba dans la fosse que le fossoyeur avait creusée et se laissa aller à sa détresse. Au bout de deux semaines elle gisait toujours dans son trou et se morfondait en ne sachant comment se suicider.

 Au bout de deux ou trois jours, le diable fut intrigué de ne plus recevoir de disciples chez lui. Il se métamorphosa en vieux bonhomme malcommode et sortit de son enfer, afin de trouver la clé du mystère. Pour s’amuser en chemin, il fit des grimaces aux enfants qu’il rencontrait, s’arrêta dans un bar, y sema la pagaille et s’enfuit en ricanant. Il n’arriva que dans la nuit au cimetière et c’est par hasard, en glissant dans un trou de marmotte morte qu’il trouva la mort qui geignait. Il tendit l’oreille et dans un grand cri de détresse, elle hurla : « Je veux mourir ». Le diable comprit tout. Il se retira sur la pointe des pieds et prit contact avec les médias de tous les pays. D’une voix théâtrale qui sembla venir d’un autre monde, il annonça: « La Mort est en dépression. Ne la cherchez plus. »

 « C’est une catastrophe! » annonça Pierrot Pruneau derrière le pupitre de la chaîne TVA. Mesdames et messieurs, bonsoir. Nous avons une information de première importance à vous transmettre. Imaginez-vous donc que la Mort est entrée dans une grande dépression nerveuse et que depuis un mois déjà, plus personne ne meure sur la terre. »

 Prenant cette nouvelle comme étant un peu farfelue, des spécialistes de toutes sciences se penchèrent sur la question « Que serait la Vie sans la mort ? » et donnèrent tous des avis différents. Ce n’est qu’après quelques semaines qu’on se rendit compte que la nouvelle n’était pas un canular. Les croque-morts, les salons funéraires, les employés de cimetières se plaignirent à leurs patrons et syndicats que les affaires baissaient, il n’y avait plus de clients car plus personne ne mourait. Les années passaient et la Mort ne trouvait pas de moyen de s’enlever la vie.

 Les experts en marketing collectèrent des informations, développèrent des plans d’action qui en découlèrent, mirent en œuvre des tactiques efficaces afin de réaliser des affaires d’or. Ils firent une étude quantitative et qualificative, ciblèrent les consommateurs et mirent sur pied des industries de perruques, de vitamines pour renforcir les os, des prothèses pour croque-mort, ils créèrent des besoins : « Les centenaires ne sont beaux qu’avec Botox ». On mit en vente des os synthétiques, des pommades pour rajeunir: « Avec Nonosse, c’est votre peau le boss », des huiles pour adoucir les os, des vitamines énergisantes: « Nos vitamines revigorent les os, vous n’en aurez pas de trop ». Les plus riches se faisaient refaire les os chez des chirurgiens émérites. Ils inventaient des jeux et pour faire rire le public au théâtre, des comédiens mêlaient leurs os entre eux et marchaient sur les mains ou mangeaient avec les pieds. Le lancer de l’os annuel était très couru partout dans le monde.

 Faute de personnel, les métros commençaient à être inondés, les ponts n’étaient pas entretenus, ils s’effondraient, les pétroliers perdaient à la bourse et celle-ci s’écroula. Les perspectives d’avenir étaient sombres pour le monde entier. Les jeunes laissaient l’école de plus en plus tôt car la société avait besoin de manœuvres pour aller au plus urgent et entretenir les choses les plus essentielles, cultiver la terre. Les générations se perdaient au fil du temps. Même en deux cents ans de vie, les plus âgés, honteux de leurs os, ne voulaient connaître leurs descendants, qui eux ne voulaient rien voir de ce qui adviendrait d’eux en vieillissant.

 Cent ans plus tard, Pierrot Pruneau, lecteur de nouvelle de TVA, est toujours derrière le pupitre aux nouvelles du soir. Il n’a plus de cheveux, porte deux paires de lunettes, mais il est encore souriant, même s’il n’a plus de dent et qu’il tremble en parlant. « Le réchauffement de la planète gruge les glaciers restants, on sue au nord, on gèle à l’Équateur, les naissances se raréfient. Les suicidaires ne savent plus quel saint invoquer pour être délivrés de la vie. Mesdames et messieurs, tout va mal dans la société : les hôpitaux sont remplis à craquer, on en construit sans cesse, mais même si la médecine a fait beaucoup de progrès, ils ont besoin de soins et le personnel infirmier est toujours en manque. »

 Les doubles centenaires n’avaient plus beaucoup de chair pour habiller leurs os, le simple fait de se gratter pouvait la déchirer. Ils se désagrégeaient lentement et les plus âgés devenaient paranoïaques. Ils craignaient de se faire broyer les os, de tomber en poussière, d’être balayés sous un tapis, le cœur toujours battant et le cerveau pensant. Le diable allait d’une ville à l’autre pour constater les dégâts. C’était plus drôle que dans son enfer. Il était mort de rire quand il entendait de drôles de conversations :

 - Mais regarde-toi bon sang, tu n’es plus qu’un paquet d’os.

- Et toi! Tu as l’air d’un mort vivant.

- Ah ben Charmaine, tes os sont plus gros que les miens.

- Mais les miens sont mieux proportionnés.

- T’as vu comme les os d’Eucharistine craquent pour son âge ?

- Elle travaille trop du crâne.

- C’est vrai ça. Et Pom-Alexou est tout désarticulé.

- Il a besoin de WD-40. Ses os crissent.

- Ouais ! Et Pondy-Chérie s’est fait remplacé le coccyx.

- Elle aurait mieux fait de se faire refaire le thorax

- Ouais ! Et Gilles-Aristide s’est fait greffer un pénis.

- Je sais, il carbure au viagra.

- Mais Clothilde dit qu’il est pas mal vite.

- Elle a raison. Il tire plus vite que l’ombre de Lucky Luke.

- Que penses-tu de Paul-Honoré?

- Ah non, il fait peur aux fantômes.

- Et il ne reluque que les cent ans et moins

- Ouais!! C’est pas facile rendu à notre âge.

- Pfftt! Et les assurances ne couvrent plus nos vies.

Les choses s’aggravaient. Si la mort ne revenait, cet enfer sur terre ne finirait jamais. Un comité spécial réunissant un représentant de chaque pays se réunit un jour de toute urgence. Leur mandat était de trouver une solution pour attirer la mort afin qu’elle accomplisse ce qu’elle avait à faire. Ils composèrent une homélie qui fut récitée à tous les jours dans le monde entier.

 Ô vous la mort, délivrez nos âmes

Nous avons voulu vivre l’éternité  

Mais nous n’étions que des infâmes

Pardonnez-nous de vous avoir méprisée

 

Voyez l’état de nos pauvres os

Nous nous mettons tous à genoux

Vous implorer de prendre la faux

Et vous prions de penser à nous

 

Sachez tout ce qu’on endure

L’éternité est trop longue

La vie en os c’est trop dur

Nous le crions dans toutes les langues

 

Nous voulons dormir dans une tombe

Laissez nous reposer dans quelque crypte

Ne nous laissez pas dans l’ombre

C’est pire que les sept plaies d’Égypte

 Du fond de son trou, la mort entendit cette prière et s’accrocha à la vie. Elle comprit pourquoi elle était tant haïe mais aussi sa nécessité et son utilité dans la vie. Elle vit qu’elle était un passage nécessaire pour laisser les anges conduire les défunts vers un au-delà qu’elle ne connaît pas et où peut-être on les attend chaleureusement. Elle sortit de son trou et fit quelques pas en s’écriant : « Je veux vivre ! »

 Cela fit un grand vacarme dans les deux hémisphères. Les lions rugirent, les ours s’enfuirent, les habitants de la mer se retournèrent. Sous la force du vent les toiles d’araignées se déchirèrent et s’envolèrent avec leurs victimes qui réalisèrent soudain qu’elles étaient captives du vent. On mit des micros partout, les médias furent à l’écoute, les sismologues craignirent un séisme.

 Puis soudain, un silence de mort.

 La mort reprit sa faux et se remit au travail en se promettant de ne plus être aussi cruelle. La vie se remit à battre, elle reprit son pas, plus forte qu’avant. On se remit à faire des enfants et la terre se repeupla.

 Soulagée pour la planète de ses ancêtres, Adénaïde fit un tour de terre pris un repos. Ça faisait si longtemps qu’elle était partie, au moins 300 ans. Mais c’est rien 300 ans à côté de l’éternité. Elle a encore beaucoup de choses à faire. Alors, elle s’éloigna et attendit son beau cheval pour manger sa bière aux céréales dans un beau plat en cristal.

 Mais avant, elle écrivit dans le ciel :

 « Riez avant de mourir, car l’avis du fossoyeur le dit,

la mort a repris sa faux

et lui sa pelle. »

   

La mort fait une dépression

Di

Publicité
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
Quand tout sera vidé dans l'univers, que le temps n'existera plus, seule la mort survivra, mais n'aura aucune raison d'être. Alors, quelques spécimens naîtront par hasard, le temps se réveillera et la mort reviendra les surprendre. Merci Marie-Louve pour ton retour. Je m'ennuyais de toi. :-)  Bisous ...
Répondre
M
Ouf ! La Mort est morte vive la Mort ! Ainsi va la vie qui carbure à la mort. Chacun son métier et les Hommes seront bien gardés tant que la Mort veillera au grain des ses profits. Si c'est Dieu possible de pousser la Mort dans la déprime ! La pauvre qui se donne un mal de chien pour en finir avec la vie qui ne fait pas de cadeau à tous ceux qui tentent de la gagner à la sueur de leur front. Bravo DI ! Tu as donné les lettres de noblesse à cette grande et précieuse Dame de Pique . :-)))) Bisous. 
Répondre
D
Merci pour avoir si bien trouvé la photo de la mort avec sa faulx, Aganticus.
Répondre
D
Merci Lenaïg pour le lien que tu as fait à partir de ton blog.
Répondre
D
Il me semble que ceux qui vivent de l'industrie de la mort développent de l'humour pour oublier sa laideur, son injustice, ses choix, sa cruauté, sinon ça ne serait pas vivable pour eux. S'ils n'en ont pas ou n'en ont guère, il faudrait ouvrir une boutique pour leur en prêter, même sans intérêts.<br /> Quand il y a trop de surpopulation, on dirait qu'il arrive une bactérie ou une guerre qui détruit une partie de l'humanité.<br /> Je nous souhaite à tous de vivre encore longtemps en santé.<br /> Merci Aganticus, Hélène, Flipperien, Josette. Merci beaucoup.
Répondre